Face à la multiplication des vitrines froides dans les cœurs de ville, les foncières de redynamisation sont mobilisées par les élus pour tenter d’inverser la tendance. Entretien avec Marine Onfray, directrice générale de la Foncière Centres-Villes Vivants qui intervient sur la Métropole du Grand Paris.
Septembre-octobre 2025 – Traits urbains n° 153 – Pierre Derrouch
Marine Onfray : Ces fermetures de commerces étaient une réalité palpable avant le Covid. Les crises successives – économique avec l’hyperinflation, sociale avec les Gilets jaunes et sanitaire avec le Covid – ont fait beaucoup de tort au commerce, tout comme le e-commerce et la fast fashion qui ont touché de plein fouet le textile, notamment. La vacance oscillait autour de 10 % dans les centres-villes d’Ile-de-France en 2020-2021, grâce aux aides apportées aux commerçants pour sortir de la crise Covid. Elle ne cesse d’augmenter depuis, avec des plans de fermeture et des liquidations de boutiques, dont celles de chaînes nationales. Le tissu marchand se détricote un peu. Mais en définitive, ce n’est pas tant un problème de vacance que de perte de diversité de l’offre commerciale. La nature ayant horreur du vide, certaines activités profitent de la disponibilité d’emplacements premium pour s’implanter : achat d’or, fast-food, agences de services, centres médicaux… Aucun centre-ville n’est aujourd’hui totalement exempt d’inquiétudes sur le dynamisme de son commerce. Même les communes aisées se rendent compte qu’il y a un enjeu à ce qu’une municipalité reprenne la main sur certains emplacements pour s’assurer qu’ils gardent leur vocation commerciale
Il faut essayer de limiter ces implantations qui ne relèvent pas du commerce de flânerie. C’est l’un des chevaux de bataille de la Foncière Centres-Villes Vivants. Ainsi, un de nos tout premiers projets a été d’aider la maire de Vincennes à maîtriser un bel emplacement de rez-de-chaussée, au très grand linéaire de façade, convoité par un cabinet dentaire. Nous avons trouvé un boulanger au levain bio dont la recherche correspondait parfaitement au local. Cette intervention illustre notre démarche maille à maille pour empêcher que des emplacements perdent leur vocation commerciale tout en mettant le pied à l’étrier à des commerçants de proximité.
Notre spécificité est de donner la priorité aux commerçants indépendants, et nous croyons beaucoup au pouvoir des métiers de bouche pour revitaliser un centre-ville. La gourmandise crée du lien social. Nous misons aussi sur des restaurants et des cafés, soit tout ce qui permet de créer des lieux attractifs et conviviaux.
On se plie également aux demandes spécifiques des villes comme maintenir une offre de prêt-à-porter indépendante, un commerce culturel, une librairie… Nous montons des projets sur mesure selon le cahier des charges de la ville.
Avec la Foncière, nous apportons aux maires métropolitains notre compétence immobilière et des moyens financiers, et eux, ce que nous n’avons pas : le droit de préemption urbain. En voyant passer tous les dossiers de cession sur leur bureau, ils peuvent intervenir quand le projet d’un acquéreur ne va pas dans le sens de l’intérêt général du centre-ville. Ce qui peut les amener à nous solliciter pour les seconder. Les municipalités préemptent, puis nous rétrocèdent les locaux dont nous assurons une gestion de long terme avec un horizon de portage de 15 ans environ. C’est un vrai partenariat que nous mettons en place.
Cela fait plus d’un an et demi que nous sommes officiellement créés et un an que nous sommes actifs sur les investissements, avec une première signature en juillet 2024. Aujourd’hui, nous sommes propriétaires de 12 locaux commerciaux et avons validé 35 dossiers d’investissement. Environ 70 maires de notre périmètre d’intervention nous ont appelés, soit plus de la moitié des 130 communes de la Métropole du Grand Paris. Cela montre un fort engouement des maires pour trouver une solution de portage de locaux commerciaux.
Quand une boutique ferme, c’est souvent une catastrophe pour le dynamisme d’une rue, tant l’inertie pour mener à bien un projet d’ouverture de commerce peut être grande. D’où l’importance de bien cibler les commerçants qu’on va implanter, et de faire un casting sur mesure pour cerner ceux ayant déjà une expérience. Notre vocation en tant que foncière semi-publique est de mettre le pied à l’étrier à ces commerçants. Les défaillances d’entreprise sont très nombreuses et les trois premières années sont vraiment critiques, le temps qu’ils constituent leur clientèle. Donc on pratique des loyers progressifs et des franchises pendant les travaux pour favoriser leur bilan d’exploitation.
Notre foncière est avant tout un outil au service des maires. C’est dans cet esprit que Patrick Ollier, président de la Métropole du Grand Paris, maire de Rueil-Malmaison et à l’origine du droit de préemption commercial, a créé la Foncière Centres-Villes Vivants. Les maires sont en première ligne pour ressentir les attentes de leurs administrés en matière de commerce, et nous voulons les remercier de leur engagement. Nous les écoutons et les accompagnons dans la recherche de porteurs de projets dans l’activité qu’ils ont ciblée. Mais parfois, il faut consolider les fondamentaux avant de viser des activités plus difficiles à dénicher, dans un contexte où toute la filière de formation et de recrutement d’artisans et de commerçants souffre. C’est pourquoi on commence toujours par des valeurs sûres : une bonne boulangerie, un café, un restaurant. . . Ce n’est qu’après qu’on peut envisager un primeur, une boucherie, puis quand ces commerces incitent les habitants à venir faire leurs courses en centre-ville, on peut proposer un fromager, un caviste, et des commerces les plus difficiles à implanter comme les poissonniers. On dit qu’il faut quatre à cinq boucheries dans un centre-ville pour qu’une poissonnerie fonctionne.
Pour que la redynamisation fonctionne, il faut construire les étages de la fusée les uns après les autres. C’est notre rôle d’accompagner la ville pour qu’elle ait des attentes réalistes et qu’on prenne les dossiers dans le bon ordre
Non, on observe même une tendance inverse avec la réduction de ces enseignes. Elles libèrent des locaux assez petits qui sont remplacés notamment par des boutiques de cigarettes électroniques. On voit aussi arriver des opticiens et des audioprothésistes qui profitent de meilleurs taux de remboursement des prothèses auditives. C’est probablement le plus grand nombre d’ouvertures de boutiques aujourd’hui. Notre politique n’est pas de faire barrage à tout prix à l’ouverture de ces commerces, mais de prioriser des activités de flânerie sur certains emplacements. Les assureurs, les banques, les agences immobilières, sont des activités de destination où les clients se rendent sur rendez-vous ou pour un besoin bien identifié. Ces commerces peuvent tout à fait rencontrer leur clientèle sur des rues secondaires. Ce ne sont pas des commerces de flânerie où on rentre parce qu’on passe devant. Ceux-là ont besoin d’être très visibles et de capter le flux, donc d’être placés sur les places fortes d’un cœur de ville pour créer ce sentiment de flânerie. Ce sont eux les plus à même de recréer du dynamisme commercial en centre-ville.
Il y a des métiers qui se réinventent parce que le modèle économique initial est un peu chamboulé. On voit de plus en plus se développer des projets hybrides, mêlant un commerce traditionnel avec une partie café pour avoir ce petit complément d’animation et de chiffre d’affaires : café-librairie, café-réparation… On peut le décliner en plein de choses. Les modes de consommation évoluent aussi, donc les métiers de bouche traditionnels se réinventent pour correspondre aux styles de vie : on va davantage aujourd’hui vers du traiteur en quête de préparations toutes faites que de produits bruts.
Nous sommes assez attentifs quand on sélectionne des commerçants à ce qu’ils aient une gamme développée. Un poissonnier aujourd’hui est obligé d’avoir un laboratoire de transformation pour proposer des produits prêts à consommer. De même pour une boucherie, souvent une partie traiteur vient compléter l’offre. C’est vraiment dans la mouvance du commerce actuel.
Nos actions sur un emplacement commercial ne sont qu’une goutte d’eau si les paramètres urbanistiques fondamentaux ne sont pas bien réglés. Il n’y a pas de recette miracle, mais il faut par exemple réussir à conjuguer la piétonnisation de l’hypercentre dédié à la flânerie, avec des parkings-relais à proximité immédiate dans de bonnes conditions tarifaires. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme la végétalisation, la qualité des aménagements sur la voie publique, l’état de rénovation des façades sur les étages supérieurs, l’harmonie des enseignes et des devantures, etc. Quand ces ingrédients sont bien paramétrés, cela contribue au dynamisme d’un centre-ville, sinon c’est plus compliqué d’animer efficacement une politique de redynamisation.
C’est en effet le cas, nous sommes déjà en relation de travail avec plus de 70 communes de la Métropole du Grand Paris. On nous appelle souvent pour débloquer des situations complexes, comme reprendre la main sur un local détenu par un propriétaire qui vit à distance et/ou a d’autres priorités que la relocation de son local commercial. Il ne va pas s’atteler frontalement à la recherche d’un porteur de projet, ou alors manifeste des attentes de loyers qui ne donnent pas envie à un commerçant de s’implanter. Notre rôle est de rapprocher les parties, faire une étude fine du potentiel commercial et proposer un prix d’achat qui nous paraît approprié pour pratiquer de bonnes conditions locatives, justes et équilibrées. Nous agissons toujours en concertation avec le maire sur le choix du candidat à implanter, et inscrivons notre action dans la durée.
Absolument. L’idée a vraiment vu le jour avec le plan Action Cœur de Ville en 2018, qui a mis l’accent sur la nécessité de créer des outils de portage fonciers professionnalisés. On allie capitaux publics et privés dans des sociétés d’économie mixte. L’objectif était de créer une centaine de foncières en France, accompagnées par la Banque des Territoires. Aujourd’hui, on est probablement autour de 85-90 foncières lancées. La question clé est celle de la bonne échelle d’intervention. Il faut des outils proches du terrain pour dénicher les porteurs de projets, mais aussi des structures mutualisées pour recruter des personnes compétentes. Sans prêcher pour ma paroisse, je trouve que l’échelle de l’intercommunalité fonctionne assez bien puisqu’on travaille vraiment main dans la main avec les équipes municipales.
Beaucoup de collectivités s’interrogent cependant sur la manière de mobiliser ces outils. Il est rare que des sociétés d’économie mixte interviennent dans l’immobilier commercial. Nous sommes encore un peu des ovnis dans ce paysage immobilier. Mais chacun est d’accord pour dire qu’il faut garder dans le centre-ville des activités de proximité. Le fait qu’il y ait une filière qui se structure est applaudi par tout le monde.